L’aquaculture, une alternative à la pêche bientôt durable ?

Aquaculture terrestre ou offshore, alternatives protéinées à base d’insectes, déploiement de l’aquaponie à grande échelle… Depuis quelques années, des innovations tentent de minimiser l’impact de l’aquaculture conventionnelle sur l’environnement en mettant en avant des pratiques plus vertueuses, assurant une meilleure qualité des produits de la mer.

 

Pratiquée depuis plusieurs milliers d’années en Asie, l’aquaculture n’est pas un concept neuf. Depuis une trentaine d’années pourtant, la domestication des ressources marines – poissons, mollusques et plantes aquatiques – connaît un essor fulgurant, notamment en Chine, qui produit à elle seule plus de poissons d’élevage que le reste du monde. Au point que ses volumes, à l’échelle mondiale, dépassent depuis 2013 ceux de la pêche de capture, quant à eux de plus en plus menacés par la surpêche (un tiers des espèces de poissons serait concerné, selon les experts de la FAO, l’agence des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Ceux-ci estiment que la production de l’aquaculture pourrait atteindre 109 millions de tonnes en 2030, soit une hausse de 37 % par rapport à 2016.

Mais si l’aquaculture permet de répondre à une demande croissante des produits de la mer, impulsée notamment par la croissance démographique, elle n’est pas toujours sans conséquence sur l’environnement.

« On a beaucoup reproché à l’aquaculture l’utilisation d’antibiotiques, le rejet de résidus, et le dépassement de la capacité de charge : le milieu aquatique a une capacité d’autoépuration qui, lorsqu’elle est dépassée, engendre une mortalité très forte et dégrade les écosystèmes marins », explique Lionel Dabbadie, chercheur en aquaculture au CIRAD.

« Le milieu aquatique a une capacité d’autoépuration qui, lorsqu’elle est dépassée, engendre une mortalité très forte et dégrade les écosystèmes marins »

Réduire la pression sur les zones côtières 

Depuis quelques années pourtant, l’aquaculture se diversifie et fait l’objet d’innovations plus respectueuses de l’environnement. L’une d’elles consiste à limiter son impact sur les écosystèmes marins et les zones côtières en élevant les poissons en milieu contrôlé, dans des bassins en circuit semi-fermé. « L’avantage de ce type de système en recirculation est que l’on ne rejette que 1 % de l’eau utilisée. Le volume étant faible, il est facile à traiter », souligne Frédéric Gaumet chez Krüger Kaldnes, une filiale de Veolia spécialisée dans le traitement de l’eau.

Ainsi dans les fermes de saumons en Norvège et dans les Alpes suisses où cette technologie est implantée, « les particules (restes de nourriture, déjections…) sont éliminées au maximum à l’aide de filtres autonettoyants. Il faut aussi assurer un équilibre au niveau de la teneur en gaz de l’eau, et contrôler sa température et son pH », poursuit-il en précisant bannir l’utilisation d’antibiotiques et limiter au maximum celle de produits chimiques. Seul hic : l’aquaculture terrestre ne peut pas s’implanter n’importe où. « Certains rêvent de placer ces fermes proches des villes, mais elles ont besoin d’être à proximité d’une source d’eau de bonne qualité et d’une température proche de celle dont ont besoin les poissons », fait-il remarquer.

« Certains rêvent de placer ces fermes proches des villes, mais elles ont besoin d’être à proximité d’une source d’eau de bonne qualité… »

Une autre solution, moins avancée à l’heure actuelle, consiste à pratiquer l’aquaculture en haute mer (offshore). En 2017, une étude publiée dans la revue Nature assurait que 0,015 % de l’espace océanique suffirait pour produire une quantité de poisson équivalente à celle pêchée en une année. « Cette technique évite le problème du dépassement de la capacité de charge : le milieu aquatique n’a aucun mal à épurer les effluents », note Lionel Dabbadie, qui pointe malgré tout quelques désavantages, entre la difficulté à rentabiliser les infrastructures et les coûts liés au transport de marchandises et du personnel. « L’empreinte carbone est plus importante pour l’aquaculture offshore, sans compter les risques de pollution, notamment des microplastiques, les tempêtes, les maladies… », abonde Frédéric Gaumet.

Nourrir les poissons avec des insectes

Autre enjeu majeur pour l’aquaculture de demain : l’alimentation des poissons. Dans un rapport publié en 2017, l’ONG Bloom affirme que ces élevages aquatiques consomment à eux seuls 57 % de la production mondiale des farines de poisson, devant l’élevage de porcs (22 %) et de volailles (14 %). Des alternatives protéinées plus écologiques commencent tout juste à émerger : depuis le 1er juillet 2018, l’Union européenne autorise les fermes aquacoles à nourrir leurs poissons avec des protéines issues de larves d’insectes.

Des start-ups n’ont pas tardé à se placer sur le créneau. Partenaires de Veolia, Mutatec et Entofood élèvent des mouches soldat noires pour produire de la farine d’insectes riche en protéines. Inoffensives pour l’humain et non invasives, elles se nourrissent de biodéchets, et participent ainsi à leur valorisation. « On trouve également des omega-3 – nécessaires à l’alimentation des poissons – dans les insectes et les algues, soit directement soit via des précurseurs, des sources intéressantes pour les besoins en omega-3 », affirme Frédéric Gaumet.

Vers une aquaculture « bio » ?

Plus largement, l’aquaculture gagne à adopter les principes de l’agroécologie, à commencer par la prévention naturelle de certaines maladies et parasites comme le pou de mer qui affectent parfois les élevages. L’aquaponie et la rizipisciculture en sont les incarnations les plus répandues. L’activité des poissons permet d’y faire fructifier les plantes (ou le riz) de manière naturelle, sans produits chimiques ni antibiotiques : un filtrage biologique réalisé par des microorganismes transforme en nitrates l’ammoniac contenu dans les urines des poissons, fertilisant ainsi les cultures.

Pour Lionel Dabbadie, « l’aquaponie est une technique efficace, qui répond aux attentes actuelles : c’est une activité qui connaît un grand succès à petite échelle, dans des filières courtes, de qualité ». Et contrairement à l’aquaculture terrestre, l’aquaponie est tout à fait compatible avec le milieu urbain, même si « on est vite limités en termes de surface, et donc de rentabilité », nuance Frédéric Gaumet. À noter toutefois que le label bio ne peut s’appliquer à ce type de production aquacole, notamment en raison de la densité des élevages.

« L’aquaponie connaît un grand succès à petite échelle, dans des filières courtes, de qualité. »

Dans le cadre de son projet Villes Fertiles, Veolia souhaite ainsi « participer à la création de nouveaux systèmes de production agricole, intensifs et qualitatifs, en environnement urbain et péri-urbain », indique Loïc Couttelle, directeur de projet Agriculture urbaine chez Veolia, qui se positionne comme un « acteur structurant sur l’un des principaux enjeux des prochaines décennies ». En partenariat avec la start-up Bigh, l’entreprise met une fois de plus son expertise en matière de traitement de l’eau à profit : « à grande échelle, il faut introduire une boucle d’ajustement qui permet d’analyser et traiter l’eau provenant des poissons avant de l’utiliser pour faire pousser les végétaux, en partie parce que les poissons et les plantes n’ont pas les mêmes besoins en termes de pH de l’eau », explique Frédéric Gaumet.

 

Bien entendu, de telles synergies entre les poissons et les écosystèmes naturels peuvent aussi s’appliquer dans les élevages maritimes. « Aujourd’hui, de nombreux efforts portent sur ce qu’on appelle l'aquaculture multitrophique intégrée (IMTA), rappelle Lionel Dabbadie. Pour dépolluer les éléments organiques (aliments, déjections), on associe aux cages des organismes comme des mollusques filtreurs (huîtres, moules) ou brouteurs (concombre de mer, vers marins), et pour éliminer les matières dissoutes, on met des algues ». Le concept, testé dès 2006 dans la baie de Fundy au Canada, est aujourd’hui mis en œuvre un peu partout dans le monde, notamment dans certains élevages de crevettes en Thaïlande, dans des étangs en Chine, ainsi qu’en Europe. 

Pas de doute, le futur de l’aquaculture s’annonce de plus en plus vert.

 

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