“Demain, la ville africaine” : pour Dinah Louda (Institut Veolia) « il faut mixer les approches culturelles et économiques en faisant participer les citoyens pour fabriquer la ville de demain. »

Le cycle de débats sur "Demain, la ville africaine" s’est achevé le 9 décembre à Paris, avec la conférence “De Rabat au Cap, l'Afrique continent durable du 22e siècle”. Un événement organisé dans le cadre du partenariat avec Veolia, l'Institut Veolia et Le Monde Afrique Cities. Si le continent africain connaît la plus forte croissance urbaine au monde, comment bâtir des villes nouvelles et concilier croissance économique et durabilité ? L’enjeu est plus que national, il est planétaire.


Retour sur la conférence de clôture : “De Rabat au Cap, l'Afrique continent durable du 22e siècle”

  • L’urbanisation africaine concentre tous les enjeux 

L’Afrique connaît la plus forte croissance urbaine au monde. D’ici 30 ans, la population du continent doublera pour atteindre 2,5 milliards d’habitants, les villes accueilleront 950 millions de nouveaux urbains. Cette urbanisation est un défi pour les villes intermédiaires : accès à l'eau potable (35 % de la population urbaine y a accès aujourd'hui) ; accès à l'électricité (aucune ville africaine n'est exempte de coupures d'électricité) ; existence de routes, de systèmes d'assainissement, de traitement des déchets… Ces villes sont aussi plus vulnérables aux risques sanitaires et sociaux et ceux liés au dérèglement climatique. Relever ces défis soulève la question de la décentralisation.

Selon Laurent Bossard, directeur du Club du Sahel, les effets positifs de l’urbanisation s’étendent aussi aux zones rurales. Près de 5 000 nouvelles villes ont vu le jour depuis 30 ans, faisant baisser la pauvreté en milieu rural. Et sur les enjeux liés au changement climatique, les villes africaines intermédiaires sont moins polluantes que celles d’Asie. L'économie circulaire y est beaucoup plus développée car c’est une tradition ancrée dans l’économie africaine. 

Dans ce domaine, la ville africaine est un défi et aussi une chance.  

Philippe Bourdeaux, directeur de la zone Afrique Moyen-Orient de Veolia, a introduit les échanges : 

Avec l’Institut Veolia, nous avons souhaité nous interroger avec nos parties-prenantes sur la façon dont nos modèles économiques devaient évoluer pour assurer demain les services essentiels en Afrique dans l’eau, les déchets et l’énergie. Je retiens de nos échanges l’optimisme de tous les participants qui engagent le continent dans la voie de sa transformation écologique. 

  • Des villes intermédiaires durables et inclusives

La ville africaine s’inscrit dans une multitude de contextes. L’Afrique du nord est très urbaine, l'Afrique subsaharienne principalement périurbaine avec des quartiers informels. Et au Sahel ou au Burkina, des villes sont en crise car elles accueillent de très nombreuses populations déplacées. 
 
Audrey Guiral-Naepels, responsable adjointe de la division Ville de l’AFD, a expliqué que le défi démographique est lié à la rapidité de la croissance urbaine dans les villes intermédiaires qui ont beaucoup moins de moyens pour faire face à trois défis : l'accès aux services essentiels : eau, transports, déchets, énergie, avec des tarifs sociaux pérennes ; l'intégration des quartiers précaires ou informels, qui absorbent 60% des nouveaux arrivants ; le renforcement des polarités secondaires des villes en équipement public, en réseaux, en logements abordables pour des personnes à faibles ressources.

 

  • L’économie circulaire, pour fabriquer la ville avec ses habitants 

Edouard Yao, représentant pour la Côte d’Ivoire du Réseau Africain de l’économie circulaire, a rappelé que l'économie circulaire permet de vivre sans déchets et qu’elle crée des emplois : 

C'est en Afrique que l'économie circulaire est  la plus répandue mais dans des contextes informels. La priorité est la refonte institutionnelle pour sortir de l’informel. Pour y parvenir, il faut aussi associer les citoyens à la conception des projets, utiliser la diversité culturelle, technique et organisationnelle. Il faut mobiliser toutes les compétences et associer tous les innovateurs. Par ailleurs, on constate parfois un rejet des infrastructures par les populations qui ne sont pas associées aux projets. Il faut s’appuyer sur des associations qui mélangent  jeunesse et traditions. Une économie circulaire plus formelle permettrait d'offrir des débouchés à la jeunesse. Par exemple, à Douala (Cameroun), de nombreux jeunes collectent des déchets plastiques pour fabriquer des granulats de PET qui sont exportés en Chine. Il faudrait donc construire une industrie pour transformer ce PET en produits locaux.

  • Quelle ville en 2040 ? 

Avec son projet “Hubcité”, Sénamé Koffi Agbodjinou, architecte togolais, chercheur en anthropologie à Lomé, appelle les villes africaines à abandonner les standards occidentaux pour façonner des villes du futur durables, en renouant avec leurs racines :

Si un urbain sur six est africain en 2050, les objets urbains de demain seront africains. Selon moi, les technologies tentent de prendre le pouvoir sur le réel et le capitalisme l'a bien compris en créant des start-up aussi grosses que des États. Les technologies veulent construire un monde social autonome sans humains en utilisant la ville pour atteindre leur fin, avec des robots dans les rues et des gens qui produisent des données, chez eux, sur leur ordinateur. Ma nouvelle ville africaine “Hubcité” n'est pas une smart city car elle s'appuie aussi sur le modèle de la société traditionnelle. La crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui a démontré que l'informel, la solidarité et le localisme africain ont été plus résilients que le monde urbain occidentale. Dans les enclos d'initiation du village africain qui fonctionnent comme des incubateurs, on fabrique un “villageois vernaculaire”. Selon moi, avec une nouvelle comptabilité plus organique et une cosmogonie imaginaire, on pourrait se réapproprier les ressources locales de la nature. Nous vivons une crise de la cosmogonie. Un exemple : le pangolin était l'animal sacré et la clé de voûte de la civilisation Lele. Mais aujourd'hui son commerce en Afrique fait gagner plus d'argent que celui de la drogue. Alors ayant perdu son rôle traditionnel, il a peut-être engendré la pandémie actuelle.

  • “Pour une Afrique des villes à taille humaine, reconnues et autonomes”

Les villes intermédiaires doivent se faire entendre pour trouver les moyens de financer leurs projets et être plus autonomes. 

François Laurent, géographe - urbaniste, directeur associé de Urbaplan

Il faut améliorer la qualité de la dépense en misant davantage sur le préventif que sur le curatif, comme dans le domaine de la résilience climatique. Le foncier est la seule richesse de la commune mais cette ressource est mal utilisée, le foncier public est aussi mal valorisé.  

James Christopher Mizes, post doctorant en finances des villes africaines à l'Université Paris Dauphine :

Les villes croissent sans ressources économiques car elles ne s'industrialisent pas. Il manque aussi des transferts d'État. Par exemple, les 30 communes de l'agglomération de Dakar ont un accès très inégal aux dotations d'Etat car elles sont parfois perçues comme trop politisées. La décentralisation fiscale nécessite de créer un cadastre sans adresses. Et les prix des terrains ne sont pas fixes et sont gérés depuis des siècles selon des traditions. 

Jean-François Habeau, directeur exécutif du Fonds mondial pour le développement des villes :

Il y a une défaillance de marché entre le besoin et l'offre de financements. Pour s'affranchir des problèmes de seuil, il faut agréger les besoins locaux de financement. Et les ressources des villes manquent car les impôts locaux ne sont collectés que sur la moitié de l'assiette. Avec plus de décentralisation pour les villes intermédiaires, il faut aussi mieux articuler impôts locaux et transferts d'État. 

Dinah Louda, présidente de l’Institut Veolia, a conclu le cycle de conférences, rappelant l’importance pour l’Institut de croiser les regards de ceux qui ont une expérience de terrain pour analyser les problèmes et trouver des solutions : 

Il faut changer de regard sur l'Afrique. Le secteur informel ne doit plus être perçu comme un obstacle au développement : il faut mixer les approches culturelles et économiques en faisant participer les citoyens pour faire la ville de demain. Il faut favoriser la coopération entre les villes intermédiaires et le milieu rural de proximité, et l’international. L’économie circulaire est un pilier de la transformation écologique des villes car l'Afrique a une longueur d'avance avec ses traditions de réutilisation des matériaux. Je retiens aussi l'importance de la collaboration, comme au sein du club “Abidjan ville durable” ou parmi les femmes élues qui ont le pouvoir de changer la donne. Pour la richesse de tous nos débats, je remercie les équipes du journal Le Monde avec lesquelles nous avons co-construit ce cycle de conférences.


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