Demain, boira-t-on de l’eau recyclée ?

Avec la multiplication des sécheresses et l’aggravation du stress hydrique un peu partout dans le monde, la réutilisation des eaux usées traitées s’impose comme une voie d’avenir. Des industries aux champs en passant par l’eau du robinet, le précieux liquide se recycle de plus en plus.

Boire les eaux recyclées passées par nos toilettes, douches, machines à laver et autres. Pour beaucoup sans doute, l’idée n’a rien de très réjouissant. 

Et pourtant, dans certaines parties du monde victimes de stress hydrique important, on produit déjà de l’eau potable de qualité à partir d’eaux usées filtrées et traitées. En Namibie depuis plus de 50 ans, en Australie, en Californie, au Texas, à Singapour... Et demain en France ? Le concept n’a rien d'extravagant quand on sait que durant l’été 2020, la sécheresse y a battu un record et que 86 départements ont connu des difficultés d’approvisionnement en eau potable ou ont dû restreindre l’irrigation des terres agricoles. Un an plus tôt, un affluent de la Dordogne s’était asséché, obligeant plusieurs communes de Corrèze à se faire ravitailler par camions-citernes.

Avec l’augmentation rapide de la population mondiale, l’accélération de l’urbanisation et le dérèglement climatique, la raréfaction de l’« or bleu » est désormais un enjeu mondial. Et encore plus en période de pandémie, où l’accès à l’eau douce est vital pour assurer les conditions d’hygiène requises dans la prévention de la maladie, mais pas toujours garanti pour les plus vulnérables.

Comment réduire les tensions sur les ressources en eau douce ?

Une solution sous-exploitée en France

 Une situation qui explique pourquoi les expérimentations liées au recyclage de l’eau fleurissent sur le territoire depuis quelques années. Irrigation d’un terrain de golf à Istres (Bouches-du-Rhône), arrosage des espaces verts à Sainte-Maxime (Var), nettoyage des canalisations d’assainissement urbaines à Deauville (Calvados)... Complémentaire avec l’optimisation de la consommation et la lutte contre le gaspillage, la réutilisation des eaux usées traitées – dite « Reut », ou « Reuse » en anglais – ne concerne pas seulement l’eau potable.
 

Encore très balbutiante dans l’Hexagone, elle représente moins de 1 % de la consommation d’eau tous usages confondus (contre 14 % en Espagne ou encore 80 % en Israël). Mais les choses pourraient changer si les sécheresses venaient à s’intensifier davantage. « Avec l’apparition des zones de stress hydrique, certaines municipalités commencent à réfléchir à la résilience de leurs infrastructures et de l’alimentation en eau. Elles se disent, à juste titre, qu’elles ont une ressource avec les eaux usées qui est aujourd’hui sous-exploitée », observe Arnaud Valleteau de Moulliac, directeur général d’OTV, filiale française de Veolia spécialisée dans la conception et l’intégration de technologies de traitement de l’eau. Dans certaines régions du monde touchées par le stress hydrique, investir dans ce type de solutions est même devenu un prérequis pour les industriels. « C’est aussi un sujet d’acceptation pour les populations locales qui voient leurs nappes phréatiques se vider », souligne Arnaud Valleteau de Moulliac en évoquant le cas de Nestlé qui a sollicité Veolia pour mettre en place une production de lait infantile en poudre « zéro consommation d’eau » au Mexique, en Afrique du Sud ou encore en Chine. Cette solution mise en place par le Groupe permet ainsi, pour les usages de l’usine, la réutilisation de l’eau contenue dans le lait des vaches laitières qui est déshydraté pour fabriquer le lait en poudre.

 « Avec l’apparition des zones de stress hydrique, certaines municipalités commencent à réfléchir à la résilience de leurs infrastructures et de l’alimentation en eau...»

 

Pourquoi prélever de l’eau dans le milieu naturel pour irriguer un champ ou refroidir des installations industrielles quand on dispose d’eaux usées à proximité que l’on peut épurer ? Dans le cas de l’agriculture – qui représente 70 % de la consommation d’eau douce à l’échelle de la planète selon l’OCDE –, la présence de certains éléments dans ces eaux, comme le phosphore et l’azote qui sont des fertilisants très répandus, est même la bienvenue. « Lorsqu’on traite les eaux usées, on se demande toujours quel usage de l’eau on vise derrière afin d’augmenter sa contenance en tel ou tel élément », explique le directeur général d’OTV. Dans les Hautes-Pyrénées, le projet SmartFertiReuse de Veolia expérimente ainsi l’irrigation de parcelles agricoles avec une eau usée traitée enrichie en nutriments. Son système de pilotage intelligent permet de délivrer une eau de qualité maîtrisée répondant aux besoins nutritifs des plantes.

 

Vous reprendrez bien une bière à base d’eau recyclée ?

Une chose est sûre : les techniques, elles, sont prêtes. « Aujourd’hui, nous sommes capables de produire de l’eau potable à la sortie d’une station d’épuration et nous avons tous les outils pour piloter et monitorer sa qualité. Nous pouvons même faire de l’eau “ultrapure” pour l’industrie microélectronique ou pharmaceutique, avec uniquement des molécules de H20, », expose Arnaud Valleteau de Moulliac. Le Groupe a développé des centaines de technologies propriétaires, de l’affinage par filtration ou décantation à la désinfection bactérienne en passant par l’élimination de micropolluants dont les microplastiques que l’on peut déceler dans l'eau potable. Et ce, grâce notamment à la technique de séparation membranaire, où une membrane synthétique ultrafine agit comme un filtre retenant les particules et polluants.

Il ajoute : « Les enjeux du Reuse ne sont plus technologiques mais de réglementation [en France, la réutilisation des eaux usées traitées pour la production d’eau potable n’est pas autorisée et elle est soumise à des critères pour les usages agricoles, ndlr] et d’acceptation sociale ». Un frein psychologique aussi connu sous le nom de « yuck factor » (« facteur beurk »). Sur ce point, les inquiétudes liées à la disponibilité de l’eau douce pourraient néanmoins faire évoluer les mentalités. Selon un sondage Elabe réalisé pour le journal La Tribune en 2020, une majorité de Français (83 %) serait prête à boire de l’eau potable issue d’eaux usées. Pour briser la stigmatisation de la Reut, les Tchèques, de leur côté, ont eu l’idée de se lancer dans la production de bière brassée à partir d’eaux recyclées (rappelons qu’il faut environ cinq litres d’eau pour en produire un litre).

Tripler les volumes d’ici 2025

Petit à petit, au fil des expérimentations, l’idée fait son chemin. Pionnière en France, la Vendée a récemment lancé un projet pour produire de l’eau potable à partir des rejets de la station d'épuration locale, près des Sables-d’Olonne. Dès 2022, au lieu d’être rejetées dans la mer, les eaux usées épurées feront l’objet d’un traitement complémentaire pour alimenter un barrage où une usine d’eau potable capte sa ressource. 


Autre piste qui pourra être explorée en France dans le futur : la recharge artificielle des nappes phréatiques avec des eaux usées traitées (qui permettra également de produire de l’eau potable, mais de manière indirecte). Le dernier rapport en date de l’Anses, en 2016, se montre favorable à ces dispositifs à condition qu’ils soient bien contrôlés afin de maîtriser les risques sanitaires. Ailleurs en Europe, notamment en Belgique (Wulpen) et en Italie (Nardò), ils sont déjà autorisés dans le cadre d’expérimentations qui vont permettre d’étudier les impacts sanitaires et environnementaux à plus long terme.

La bataille de l’eau (usée) se joue désormais sur le plan politique. En 2019, les Assises de l’eau prévoyaient de tripler les volumes d’eaux dites non conventionnelles (dont les eaux usées traitées) d’ici 2025. Même dynamique au niveau européen, dont la nouvelle législation adoptée en mai dernier entend encourager la réutilisation des eaux usées tout en définissant des exigences de qualité minimales à l’échelle de l’Union.  Les ambitions sont de taille : « Nous pourrions potentiellement réutiliser 6,6 milliards de m3 d’eau d’ici 2025, contre 1,1 milliard chaque année actuellement, a déclaré la députée chargée du dossier, Simona Bonafè. Cela nécessiterait un investissement de moins de 700 millions d’euros et nous permettrait de réutiliser plus de la moitié du volume d’eau actuel des stations de traitement des eaux usées théoriquement disponible pour l’irrigation ». 

De quoi relâcher un peu la pression sur la ressource et traiter cet « or bleu » à la hauteur de sa valeur.

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